25 décembre : Buenos Aires (3)

Ciel bleu, grand soleil, 25 degrés au réveil, 31 attendus cet aprèm : c’est Noël ! Nos premières pensées ce matin, comme nos dernières hier soir, vont bien sur à nos familles, mais sans trop de tristesse puisqu’elles sont réunies, que tout le monde va bien et que nous rentrons bientôt (J-16 !).

Aujourd’hui nous allons donc passer la journée à Tigre. Pas question de chasse, bien sur, ni de moustiques (…), mais simple référence aux nombreux jaguars d’antan. C’est une station de vacances proche de la capitale (30 km, 30 centimes par le train…), sur un delta du Rio Parana dans le Rio de la Plata, et très prisé des ‘portenos’. Nous avons choisi de ne pas faire les 4h de tour en bateau, mais seulement la isla de Tres Bocas (40’ aller).

En fait pas plus de 25’, à remonter le rio Sarmiento, entre une double haie de propriétés de campagne pour vacances ou fin de semana, pour la plupart sur pilotis et chacune avec son embarcadère, allant des cabanes en planches plus ou moins délabrées, jusqu’aux petits manoirs aux allures princières, en passant par des constructions moyennes, toutes entourées d’une parcelle de jardin plus ou moins bien entretenue. Mais le rio se partage et se sépare en dizaines, centaines de diverticules, tous accessibles et occupés, faisant de ce delta un lieu unique au monde. Un mélange entre les guinguettes de la Marne, les hortillonnages d’Amiens et les multiples bras de la Thames Valley. Un moment extrêmement agréable de promenade sans but, à l’ombre des filaos, des saules pleureurs et des platanes bordant le moindre méandre, et ponctué par un mini pique-nique d’empanadas, sans doute les meilleures de tout le voyage !

Mais ce qui était très intéressant était de constater que toutes les couches de la population argentine étaient là, plus ou moins mêlées, dans le train, sur le bateau, le long des sentiers. Sans une seule peau noire. Pas étonnant, les conquistadores ayant très souvent pris femme parmi les natives (pratique admise et même encouragée), les 2/3 de la population d’aujourd’hui (43 M) sont métis européen/indigène. Par la suite, l’absence de plantations et une immigration européenne très importante (espagnols toujours, mais aussi basques, grecs et surtout italiens) ont rendu inutile la traite esclavagiste en provenance d’Afrique, comme ce fut d’ailleurs le cas pour tous les pays hispanisants traversés, au contraire du Brésil comme nous nous en sommes rendu compte. Vieille blague entendue à la Boca : les Mexicains sont descendus des Aztèques, les Péruviens sont descendus des Incas, les Argentins sont descendus des bateaux..

Un autre trait caractéristique de l’Argentine d’aujourd’hui, omniprésent sur les graffitis, les panneaux muraux, mais aussi sur les plaques et bureaux officiels, est le devoir de mémoire : la façon dont les Argentins refusent d’oublier les horreurs de la ‘nuit des généraux’ (« Ni pardon ni oubli »), demandant obstinément vérité et justice, est impressionnante. Même 30 ans après, même en ce jour de Noël, même en allant se détendre dans ces lieux d’insouciance. Il nous tarde jeudi d’aller voir si les ‘mères de Mai’, l'aiguillon de cette révolte des mémoires, se comportent de façon aussi digne et déterminée que nous l’avons lu ou entendu dire.