2 janvier : Misiones

Ce matin nous sommes supposés rencontrer un certain Michael, organisateur d’excursions, qui doit venir nous prendre à l'hôtel à 7h30. A 7h40 voici que se pointe Ramon dans une berline Chevrolet blanche toute neuve, dans laquelle se trouve déjà un vieux couple (76 ans tous les deux) rencontré dans le bus hier ; il est anglais, elle est polonaise, elle a toujours quelque chose à dire, en général une porte ouverte à enfoncer, mais sa bouillie polono-anglaise est totalement incompréhensible, et nous sommes coincés dans la même voiture pour toute la journée…

Un peu plus longtemps que prévu, même, car, notre chauffeur étant bloqué avec nous aux formalités il a demandé à quelqu’un de rapprocher la voiture du bac, et cet emplâtre a claqué la porte moteur tournant, ce qui a bloqué toutes les portes… Obligé d’appeler San Ignacio et de faire venir quelqu’un exprès ! Une demi-heure plus tard, voilà le double de clé, mais le bac est déjà loin…

Juste un truc trop drôle. Le Routard annonçant que ‘la traversée (sympa) se fait en bateau de balsa’, nous étions un peu inquiets sur le type de bateau que nous allions trouver… jusqu'à ce que nous réalisions que bac ou ferry se dit en espagnol… ‘balsa’ !!! Pan sur le bec du Routard !

Deux heures après notre arrivée au bac (la balsa), pour une traversée qui devait prendre 15’, nous voici au Paraguay, de l'autre côté de l’imposant Parana, roulant à travers de vastes champs de soja (transgéniques bien sur) à perte de vue, et en route pour Trinidad et…Jesus. Ces deux missions assez proches l’une de l’autre sont la plus grande et la plus petite des 30 ‘reducciones’ construites par les Jésuites. Mais dans les deux cas, même inspiration, même esprit, même plan-type. Et surtout même gestion…’républicaine’. En 1700, fallait l’faire. Et surtout il fallait que les populations indigènes soient d’accord !

Comme nous le rappelait si justement la petite guide Argentine de Jesus, il faut se mettre à la place des Guaranis. Leur choix était clair : ou bien l’esclavage côté brésilien (avec les bandeirantes chasseurs d’esclaves), ou bien l’inexistence côté espagnol (avec le système des encomiendas où les populations d’un domaine ‘appartenaient’ au propriétaire), ou bien la reconnaissance de chaque individu dans la religion chrétienne proposée par les Jésuites…

Le succès des 30 missions, regroupant 150 000 Guaranis à leur apogée, et de l’organisation quasi démocratique de l’Etat Autonome (Jésuite), n’allait hélas pas durer longtemps : le nouveau roi d’Espagne finit par ne plus supporter cet Etat dans l'Etat et la belle utopie s’acheva dans le sang vers 1750, le Pape allant jusqu'à dissoudre la Compagnie de Jésus (dissolution annulée 30 ans plus tard…) et expulser les Jésuites de toutes les possessions espagnoles en 1768. N'empêche, bon nombre de philosophes des lumières (Voltaire, Diderot, Rousseau,…) avaient déjà manifesté leur admiration pour cette expérience unique au monde, Montesquieu allant meme jusqu'à louer cette ‘république indienne’.

C’est donc pénétrés de ces pensées que nous avons parcouru les grands espaces herbeux enclos de constructions en pierres rougeâtres plus ou moins en ruines, marquant : au centre l’église, flanquée du cloitre d’un côté et du cimetière de l’autre, ici les maisons indigènes, là les ateliers, etc.

Dans la voiture du retour, après un déjeuner vite expédié à Hohenau au Paraguay, le chauffeur nous rappelait que cette région fut aussi un abri pour de nombreux criminels de guerre nazis : Mengele vivait à Hohenau même, Eichmann à Buenos Aires et Martin Bormann… à San Ignacio ! Curieux ce raccourci historique entre le meilleur et le pire de l'humanité…